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Heurts et malheurs d’une consultation citoyenne au Parlement

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Le sort de la consultation citoyenne de l’Assemblée était entre les mains des rapporteurs. C’est ce que je disais dans mon premier billet sur la question. Je ne pensais pas être autant dans le vrai. Je ne pensais pas non plus que son destin serait aussi funeste (ah, cruel optimisme).

Comme on l’a déjà compris en cuisine, l’histoire de la première consultation citoyenne est terminée. Le joli tas des contributions rassemblées est déjà enterré, après avoir été soigneusement neutralisé. Il faut dire que cette initiative ne faisait pas consensus parmi les députés (c’est peu dire). Elle a été torpillée en règle, en toute diplomatie, avec la discrétion que permet les eaux profondes de la procédure législative. La parenthèse est close, tout est revenu à la normale.

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, on peut invoquer plusieurs arguments, mais les choses paraissent s’être jouées au moment de la désignation des rapporteurs, qui ne sont autres que Alain Claeys et Jean Leonetti, les auteurs de la proposition eux-mêmes. Si les rapporteurs n’avaient pas été les auteurs de la proposition de loi, peut-être les choses auraient été différentes. En l’état, les parents ont refusé d’abandonner leur bébé à une expérimentation hasardeuse. Après de longues auditions et déjà une consultation, la proposition était ficelée, enfin examinée, ce n’était pas pour tout voir chamboulé en dernière minute.

Des délais serrés et des députés contris

Les délais constituaient dès le début une contrainte forte, imposant que la consultation se déroule sur un temps court et soit ensuite assimilée très rapidement dans la proposition de loi. Concrètement, une fois la consultation clôturée (le 16 février à 12h), seules 29h restent avant que le texte augmenté des contributions ne soit examiné en commission (le 17 février entre 17h et 1h35 du matin). 29h c’est très court. Mais compte-tenu 1/ du soutien des administrateurs de la commission des affaires sociales, pour le tri et l’analyse des contributions, et 2/ de la régularité de la transmission des dernières contributions déposées (quotidienne), permettant ainsi un travail dans la durée, ça ne semble pas complètement impossible. Au moins, pour une ébauche.

Pour cela il aurait par contre fallu une volonté en ce sens. Or, le moins qu’on puisse dire c’est que, chez les deux auteurs/rapporteurs, l’enthousiasme n’était pas au rendez-vous. Voici ce que dit Jean Leonetti quand, au tout début de l’examen de texte en commission, la présidente de cette dernière lui demande son sentiment sur le sujet :

M. Jean Leonetti, corapporteur (UMP). […] Sur la consultation citoyenne, je réserverai la primeur des analyses au président de l’Assemblée. Alain Claeys et moi, respectivement président et rapporteur d’une mission d’information sur la révision des lois bioéthiques, avions, dans ce cadre, lancé une telle consultation sur internet, d’ailleurs assortie de nombreuses auditions ouvertes au public. Cette opération avait permis de rassembler des panels de citoyens sur l’ensemble du territoire. Je rappelle aussi que c’est l’un de nos amendements à la loi sur la bioéthique de 2011 qui a rendu ce type de consultation obligatoire. On peut toutefois regretter que celle dont nous parlons arrive trop tard, et surtout qu’elle ne s’appuie sur aucun support, comme l’a noté Alain Claeys. Ce faisant elle a donné un écho à l’avis, non de l’ensemble de nos concitoyens, mais plutôt de ceux d’entre eux qui, organisés en associations, ont des convictions souvent tranchées sur ces sujets.

Il apparaît à la lecture de ces lignes que les deux auteurs/rapporteurs se considèrent comme précurseurs, voire spécialistes du principe de la consultation. Ils défendent une posture progressiste sur la question : il n’est pour eux « pas question d’opposer démocratie représentative et démocratie participative » (dixit Alain Claeys, quelques minutes avant). On peut comprendre alors que le fait de s’être vu imposer une consultation a été quelque peu vexatoire. L’initiative du président Bartolone pouvait sous-entendre (médiatiquement parlant) que les citoyens n’avait pas encore été consulté sur ce texte sensible, alors qu’une consultation a déjà eu lieu en amont de la rédaction du texte. L’initiative du président Bartolone pouvait également, et assez légitimement, être perçue comme une récupération politique d’un texte censé être transpartisan.

Par conséquent, c’est un plan de bataille en deux étapes qui a été élaboré, comme on le devine à la lecture de leur rapport.

Étape 1 : constester la consultation

En tant que spécialiste du sujet, Claeys et Leonetti commencent par formuler alors deux critiques concernant la consultation organisée par l’Assemblée. Deux critiques qui, au demeurant, ne sont pas inintéressantes. Tout d’abord, ils pointent que cette dernière « arrive trop tard », entendant par là que le moment n’était plus à recueillir des témoignages, mais à légiférer. C’est une question qui effectivement mérite d’être posée : quelle est la pertinence de demander des avis techniques sur la solidité d’un texte à qui n’est pas député ? Ensuite, ils regrettent qu’elle « ne s’appuie sur aucun support », comme si le dispositif technique lui-même avait posé problème. C’est aussi une question qui mérite d’être posée : quelle est la pertinence de permettre des contributions libres quand il s’agit de discuter un texte déjà finalisé ?

Le fait est que pour eux cette consultation citoyenne n’est pas opportune, et de plus est bâclée, ce qu’ils ne manque pas de faire (diplomatiquement) savoir. De toute évidence, cette consultation n’entraient pas dans la stratégie définie en amont pour l’adoption de ce texte. Sur point, on peut aussi noter les crispations que suscite cette initiative du président Bartolone chez leurs collègues de la commission des affaires sociales. Le député Schwartzenberg s’étonne en effet de l’injustice qu’il y a à organiser une consultation citoyenne pour cette proposition de loi seule, alors que deux autres propositions de loi sur le même sujet ont été examinés depuis le début de la quatorzième législature. Ces crispations sont mal-venues tant la cohésion du côté de la majorité était fragile, ce qui a pu ajouter à leur agacement.

Étape 2 : disqualifier les contributions

Deuxième étape dans cette entreprise de démolition méthodique : les contributions elles-mêmes. La stratégie adoptée est d’en neutraliser la pertinence, pour ne pas dire les discréditer complètement. Pour ce faire, les deux auteurs/rapporteurs commencent, dans l’introduction de leur rapport, par nous expliquer que ce sont « avant tout les personnes insatisfaites » qui ont participé, insatisfaites dans un sens ou dans l’autre. La remarque est surprenante puisqu’on a vu que la consultation invitait précisément à améliorer le texte (en le discutant) et non pas à le valider. De fait, les personnes satisfaites n’avaient pas de raison objective de s’exprimer (mais il est vrai qu’elles auraient pu le faire).

Non seulement les participants étaient tous insatisfaits mais ils ne faisaient en plus qu’exprimer un avis général, nous explique-t-on ensuite. Autrement dit, elles sont contributions sont hors-sujets (encore une fois, la règle du jeu était de discuter de chacun des articles indépendamment les uns des autres). Voilà qui en disqualifie une grandes partie. En l’état, elles étaient inutilisables à ce stade avancé du processus législatif.

Pour couronner le tout, ces participants insatisfaits ne proposant que des avis généraux « ne représentent pas l’ensemble de nos concitoyens, mais plutôt de ceux d’entre eux qui, organisés en associations, ont des convictions souvent tranchées sur ces sujets ». Autrement dit, les résultats sont biaisés, en plus d’être en bonne partie hors-sujets.

Qu’en est-il des contributions qui échappent à ces travers ? Les deux auteurs/rapporteurs s’excusent du fait que leur nombre et leur diversité ne permet pas d’aborder la question au sein du rapport. De fait, le sujet ne sera jamais abordé. Il leur tient à cœur malgré tout de signaler que 75% des contributions sur l’article 2 remettent directement en question une décision du Conseil d’État. Ce qui en somme revient à en montrer l’inanité, et par extension par l’exemple l’absurdité de consulter les citoyens dans le cadre délibératif. La délibération ne peut-elle être qu’une affaire de spécialiste ?

Chacun chez soi, et les moutons seront bien gardés

De fait, si Claeys et Leonetti avaient voulu écarter de leur chemin toutes ces contributions citoyennes, ils n’auraient pas pu s’y prendre mieux. Tout paraît fait pour neutraliser, disqualifier, ces contributions issues de la consultation. Le coup de grâce est donnée dans la surprenante dernière phrase de l’introduction :

La lecture du présent rapport, et notamment des débats en commission, permettra aux internautes de trouver une réponse à nombre de leurs interrogations.

En résumé, nous dit-on, il faut essentiellement retenir de ces 12 000 contributions que les gens n’ont pas compris les subtilités du texte législatif. Voilà une manière subtile de replacer chacun à la place qui est la sienne. Les uns observent (et s’inquiètent), tandis que les autres agissent (et rassurent). Ce parti pris des auteurs/rapporteurs est net dans le compte-rendu. Par exemple, « de nombreux internautes se sont interrogés sur le sens à donner à la notion de dignité. Aussi quelques éclaircissements apparaissent nécessaires » (article 1) « cette phrase […] a suscité de nombreuses réactions lors de la consultation citoyenne, mérite quelques explications » (article 2). Seul l’article 9 fait figure d’exception, quand les rapporteurs soulignent que « l’inscription de la personne de confiance sur la carte Vitale est parfois demandée par les internautes ayant participé à la consultation citoyenne ». Aucune suite n’est par contre donnée à cette demande.

Ramener toutes ces contributions au rang d’ «interrogations » permet de présenter la relation député/citoyen comme relation amateur/expert, ou mieux, comme une relation ignorant/sachant. Les deux auteurs/rapporteurs, en invitant les « internautes » à lire le « présent rapport, et notamment les débats en commission » pour « trouver une réponse », se positionnent en tant que pédagogues condescendants. Ce faisant, ils instaurent une relation d’autorité, un rapport hiérarchique, qui leur laisse les coudées franches pour se dispenser de répondre sur le fond.

Pas sûr qu’une telle stratégie réduise ce fameux fossé entre l’élite politique et sa base, dont on lit souvent qu’il se creuse…

 

 Crédit photo : extrait du film Zathura (2005), réalisé par Jon Favreau.


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